Extraits choisis

PÉDAGOGIE DES MOYENS D’APPRENDRE

Les enseignants face aux profils d'apprentissage
éd. Le Centurion, Collection Paidoguides, 1982

Introduction

p.7 si l'image mentale est le matériau pédagogique de base, il reste à mettre à jour la façon dont cette image mentale va être traitée.

p.11 L'image mentale visuelle ou auditive constitue l'objet qui nourrit l'attention, la réflexion et la mémoire.

p.8 Les Profils pédagogiques ont étudié la matière propre à la pédagogie: avec l'image mentale; maintenant, nous voulons nous occuper de ses modes d'emploi...ceux qu'utilise l'élève pour se rendre attentif, pour réfléchir, pour mémoriser.

p.8 3 gestes mentaux fondamentaux
1) le geste d'attention par lequel le message pédagogique passe,
2) le geste de réflexion par lequel ce message est assimilé et devient opérationnel,
3) le geste de mémoire par lequel ce message est rendu disponible pour l'avenir.

p.8 Faites attention, réfléchissez, apprenez, … est inattentif, … travaille sans réfléchir, aucun effort pour apprendre sont des recommandations et des commentaires souvent entendus...
MAIS COMMENT S'Y PRENDRE ?

p.9 Partir du fait qu'on peut observer DU DEDANS.

Partie 1 Pédagogie de l'attention p.13
ad-tendere: tendre vers

p.13 C'est par le geste d'attention que s'ouvre la pédagogie.

p.14 Les enseignants se sont attachés à (sont sensibilisés à) présenter les connaissances selon des formes attrayantes, afin de susciter l'intérêt et de capter ainsi l'attention. Les exemples choisis, le vocabulaire utilisé, les illustrations employées, le rythme suivi, les reprises voulues, les détentes ménagées, tout cela est l'objet de savants calculs. (Faire porter l'effort ailleurs que sur un message calibré.)

p.15-16 Conditions Fondamentales: la vue et l'ouïe

p.18 Voir et regarder. Entendre et écouter... couples indissociables qui fécondent le geste d'attention.
Le geste mental d'attention se vit dans la dramatique de l'espace et du temps.

p.20 Le rôle de la distraction dans l'attention
Beaucoup d'élèves ont insisté sur le rôle qu'ils font jouer à des éléments choisis hors du cadre de l'objet d'attention pour rendre celui-ci plus présent à leurs yeux ou à leurs oreilles. (objets secondaires)
Objet d'inattention: tremplin pour que l'esprit s'élance pour être attentif...

p.22 L'esprit lui-même avec toute sa culture est ainsi déposé, comme le voyageur qui a vidé son sac sur une pierre peut en faire l'inventaire et trouver le lacet neuf dont il a besoin pour sa chausssure. Ainsi le pan de rideau est le lieu de l'inventaire de l'esprit.

p.23 Attention et intérêt
Pour être attentif, il suffit d'être intéressé: réponse banale souvent entendue. Et s'il s'agissait seulement de l'ignorance du geste mental à accomplir pour être attentif?
Le geste mental d'attention
Exemple: observer la réparation d'un moteur. Il ne faut pas se contenter de percevoir la succession de ces gestes, il faut les prolonger dans sa conscience en les évoquant. Revoir la séquence des gestes, faire exister mentalement, par une succession d'images visuelles reproductrices.

p.24 L'attention est intrinsèquement définie par le projet de faire exister mentalement en images ce que l'on perçoit et par l'exécution de ce projet. FAIRE EXISTER MENTALEMENT, SOUS FORME D'IMAGE, L'OBJET PERÇU CONSTITUE LA STRUCTURE DU GESTE MENTAL DE L'ATTENTION.

Tenir le discours suivant: Regardez ce que je vais dessiner au tableau en ayant le souci de le revoir dans votre esprit. Puis confronter la première image mentale de mon dessin avec celle que j'ai dessinée, en la regardant de nouveau au tableau. Continuez jusqu'à avoir une image précise en tête. OU Écoutez-moi avec le souci de vous redire mentalement ce que je vais vous présenter. Je vous laisserai du temps pour cette redite mentale. Je redirai, après cette pause, le même discours pour que vous puissiez confronter votre redite mentale avec mes propos. Le maître pourra alors dire à ses élèves: "Vous avez été attentifs."

p.25 Lorsque l'on revient sur les points importants, utiliser les mêmes mots pour les "bien faire entrer dans la tête". L'élève doit donc faire exister sous forme d'images mentales auditives ces points sur lesquels l'enseignant insiste. De plus, informé du projet, il connaîtra la sécurité méthodologique.
Tout serait plus clair, si l'enseignant prescrivait à ses élèves d'écouter avec le projet de redire dans sa tête et leur laissait le temps de le faire.

p.26 Attention vs mémorisation (la privation de l'objet)
Le projet d'attention est le passage à l'existence mentale en la présence de l'objet perçu, alors que le projet de mémorisation est le passage à l'existence mentale en l'absence de l'objet perçu.

p.27 L'intérêt ne crée pas l'attention; il n'en est pas la condition suffisante, ni nécessaire.

p.38 Les aptitudes scolaires dépendent de la gestion par l'esprit de l'individu de catégories d'images mentales visuelles et auditives, qu'il est finalement toujours possible de faire pratiquer.

p.43 Il est faux qu'il faille se pencher sur le cas de chacun des élèves. Des explications données à toute la classe au sujet de la manière d'être attentif aideront chacun des élèves à voir clair.

p.44 Structuration pédagogique...Au cours et au début de l'année scolaire, il faut indiquer et rappeler comment s'y prendre pour être attentif i.e. avoir le projet de redire ou de revoir dans sa tête. Pendant les cours, prévoir du temps pour gérer mentalement les notions vues et poursuivre avec du questionnement ou des exercices.

p.46 Autres perceptions: Il est probable qu'une bonne éducation de l'olfaction développera le flair, du tactile le tact, du goût le goût..., non pas seulement au sens réel des mots, mais encore au sens symbolique pour l'intelligence, qui aura de la force (donc de la pénétration), du flair (donc de l'intuition), du tact (donc de la délicatesse), du goût (donc du discernement).

Partie 2 Pédagogie de la réflexion

p.47 Lorsqu'on emploie le terme de réflexion, on est plus ambitieux...Il ne s'agit pas seulement d'évoquer, par une image mentale visuelle ou auditive; il est question, dans la perspective qui est la nôtre, à partir d'une donnée, concrète ou abstraite, proposée, posant un problème, de faire un retour à une loi, à une règle pour apporter la solution à la donnée présentée. Il y a ré-flexion puisqu'il y a un re-tour à partir de cette donnée à la loi qui doit être évoquée et une flexion pour appliquer cette loi.

p.49 Ne négliger aucun domaine: la réflexion intervient pour acquérir la maîtrise des gestes tant physiques, adaptés à l'accomplissement de tâches techniques ou artistiques, qu'intellectuelles, adaptées à l'accomplissement d'analyses, de synthèses scientifiques ou littéraires.
Les images mentales utilisées: de formes visuelles ET auditives, de catégories variées. (paramètres)
La forme de la démarche: la réflexion peut se conduire d'une façon soit inductive, soit déductive.

p.49 Démarche inductive vs déductive:
"INDUCTION: opération mentale qui consiste à remonter des faits à la loi, de cas donnés le plus souvent singuliers ou spéciaux, à une proposition plus générale. (Généralisation)"

"DÉDUCTION: Procédé de pensée par lequel on conclut de propositions prises pour prémisses, à une proposition qui en résulte, en vertu de règles logiques. (Démonstration)" On découvre la règle, de la loi au fait. Petit ROBERT.

En pédagogie, on croit souvent que la première (induction) est préférable, parce qu'elle suivrait l'ordre de l'acquisition de l'expérience, celui de la découverte. On pense que l'enfant s'informera mieux des lois, des règles mathématiques ou grammaticales, si on lui enseigne selon une démarche inductive. La déduction est réservée à des élèves déjà bien informés, i.e. pourvus d'acquis suffisants pour asseoir des lois, principes et règles qu'on leur donnerait pour rejoindre l'expérience.

p.50 Cas du visuel: ex. réparer une bicyclette. Il re-voit dans sa tête les gestes qui lui servent de modèles avant de les exécuter. Il réussira s'il s'impose d'évoquer mentalement, par des images visuelles, les gestes successifs pendant l'enregistrement. Il perçoit donc avec le projet de revoir dans sa tête.

p.54 Le VISUEL peut exécuter, mais ne sait pas expliquer. Il est de ceux qui, au lieu de répondre à une question, préfèrent montrer par des gestes comment il faut s'y prendre.
LE VISUEL TIRE BÉNÉFICE D'UNE PÉDAGOGIE INDUCTIVE, L'AUDITIF D'UNE PÉDAGOGIE DÉDUCTIVE. Généralement...D.L.

p.51-52 Cas de l'auditif: Il demande sans cesse à son camarade apprenti de lui dire ce qu'il fait et surtout ce qu'il va faire. Il faut que les gestes lui soient annoncés et décrits avant qu'ils ne soient exécutés car il évoque les gestes par réitération verbale mentale. GÉNÉRALEMENT

p.54 L'AUDITIF ne peut exécuter que s'il s'est expliqué à lui-même
L'un ne lit la règle qu'à travers l'exemple (le visuel),
l'autre l'exemple qu'à partir de la règle (l'auditif).

p.55 En tout état de cause la dextérité manuelle ne dépend pas fondamentalement de quelque disposition innée. C'est dans et par la gestion des images mentales qu'elle s'acquiert.

p.56 Ces exemples scolaires feront appel à des disciplines différentes, afin de mieux saisir le caractère spécifique du geste mental de réflexion et le rôle que joue la nature des images mentales (visuelles ou auditives) utilisées.

p.57 Nous voulons faire saisir la réalité de démarches mentales dans leur organisation et leur structure, parce qu'elles rendent compte des causes directes de la réussite et des échecs scolaires.
Exemple: La règle de trois
Poser la règle
Dans une règle de trois:
-les nombres qui commencent chaque ligne sont de même nature;
-il est préférable d'effectuer la multiplication après avoir simplifié si c'est possible.

p.59 Pour le visuel: on ne peut pas dire qu'il ait compris le SENS des opérations: pourquoi ramener à l'unité, pourquoi multiplier...Il intègre le schème opératoire et peut l'appliquer.

p.62 Une explication auditive de la règle de trois

p.63 Le visuel a souvent du mal en français: répondre à des questions sur un texte, l'apprendre par coeur, en retrouver les phrases ou les mots, ou en composer un à partir d'un thème. (Il n'évoque pas auditivement ou verbalement.)

p.64 L'auditif pratique la forme de réflexion voulue pour ce genre d'exercices. Il a le projet de retrouver dans sa tête sous forme verbale. (REDITE). Il aime apprendre par coeur. Il a l'habitude de reproduire ce qu'il perçoit visuellement par des mots et des phrases, le développement littéraire le rend à l'aise. Il a plus à dire qu'il n'a besoin.
Dans des exercices demandés, s'il s'agit de mots, de phrases, de textes; le contenu se commande bien par des évocations de nature auditive.

p.66 DÉCRIRE À L'ÉLEVE LE GESTE MENTAL À UTILISER (RE et FLEXION)
On peut faire acquérir la procédure mentale en décrivant le geste mental à opérer et en donnant du temps pour le faire.
Les problèmes mathématiques les plus ardus, les sujets de dissertation les plus difficiles relèvent pour être traités, de cette même procédure fondamentale:
* 1) perception des données,
* 2) évocation de celles-ci,
* 3) retour aux lois, aux règles, enregistrées,
* 4) application de celles qui conviennent aux données.

p.67 Les enseignants se plaignent souvent de la difficulté qu'ont leurs élèves à mettre en application dans une dictée, dans un problème des règles dont ils savent qu'ils ont une exacte connaissance. Les élèves se contentent d'écrire ou de lire sans en pratiquer l'évocation mentale, sans mettre en images mentales, la communication ne peut pas se faire avec l'acquis culturel des règles. Un objet du champ perceptif n'est pas de même nature qu'un objet du champ mental. Il faut par évocation mettre sur orbite mentale l'objet perçu pour déclencher l'évocation des acquis culturels à appliquer.

p.69 L'acte de réflexion est le retour à des normes et à des règles acquises qui vivent, sous forme de schèmes opératoires visuels ou auditifs, dans la conscience implicite. Dans les sciences mathématiques, ces schèmes opératoires sont le plus souvent de nature visuelle, alors que dans les disciplines littéraires, ils sont plutôt de nature auditive.

p.74 Gestion mentale visuelle ou gestion mentale auditive ? Une première enquête portera sur les résultats scolaires habituels. Des résultats généralement bons en maths ou en sciences d'observation, voire en orthographe, témoigneraient en faveur d'habitudes mentales visuelles; si c'est au contraire, dans les leçons par cœur, l'histoire, le développement littéraire que se manifeste le succès, il est probable qu'on ait affaire à des habitudes mentales auditives. Comment l'élève se comporte-t-il chez lui? Est-il adroit de ses mains? Aime-t-il bricoler? Oui, il a probablement des habitudes mentales visuelles.

p.76 Une habitude mentale s'acquiert à l'aide d'autres habitudes déjà acquises, à partir de cette dernière et dans son prolongement.

p.78 En classe, on demande souvent à l'élève de réfléchir sans lui dire comment, sans lui laisser le temps de le faire. Il faut au contraire accorder un temps précis pour que la réflexion s'exerce, avec la description de la manière de faire. L'analyse de l'acte de réflexion place l'élève dans une situation de sécurité méthodologique à propos d'un geste pédagogique essentiel, puisque la réflexion est la condition nécessaire de la manifestation de la compréhension.

Partie 3 Pédagogie de la mémoire

p.79 Le geste mental par lequel il faut mémoriser consiste en un projet de tenir à la disposition de son avenir ce qu'on est en train de vouloir acquérir. Le lieu de conservation des souvenirs est l'imaginaire d'avenir.

p.80 Pas de mémorisation sans l'imagination de l'avenir; pas d'imagination créatrice sans mémoire.

p.81 Si Jean-Philippe se souvient bien de tout ce qu'il peut lire ou regarder au sujet des motos, c'est qu'il les place dans son avenir. Il est toujours en situation de projet et qu'il place dans son avenir, par un geste mental, tout ce qu'il peut avoir dans le moment présent à connaître.

p.82 Intérêt et motivation n'expliquent pas le geste de mémorisation.
Il n'y a pas de mémoire sans attention.

p.83 La mémoire de l'amateur de "bonnes histoires"...
que se passe-t-il dans sa tête quand on lui raconte une nouvelle histoire ? Il est déjà en situation de projet de les raconter à d'autres.

p.84 D'où cette loi psycho-pédagogique, relevant de l'économie mentale; c'est le coffre-fort de l'avenir qui est le meilleur lieu pour conserver des souvenirs qu'on entend retrouver.
L'amnésie antérograde est connue pour une maladie de la mémoire frappant certaines personnes âgées. Elle se caractérise par l'absence d'enregistrement du proche présent. On l'explique par le vieillissement du cerveau. Pourtant, nous avons constaté que cette carence de la mémoire se manifestait chez des personnes de vieillesse relative, qui pratiquement toujours, venaient de subir un choc moral...Tout porte à croire que la cause de cette maladie pourrait bien être l'anéantissement d'un projet de vivre, d'un lieu d'avenir pour l'actuel vécu.

p.85 Une objection: le projet de retenir et celui d'oublier
Si je n'ai que le projet de retenir, sans inscrire dans mon avenir le contenu et la forme de cet "à retenir", il est tout à fait normal que je ne m'en souvienne pas. Inversement, ce que je me promets d'oublier est comme inscrit dans mon avenir. Je me représente moi comme n'y pensant pas en étant ici, en faisant cela. Ce qui suffit à inscrire ce qui devrait être mon oubli dans mon avenir.

p.88 En règle générale, c'est à force de les re-dire ou de les re-voir dans sa tête que les connaissances finissent par être solidement ancrées. Mais cette redite ou cette revue doivent se faire par un geste mental qui les place dans l'avenir. En résumé:
*1) Je regarde ou j'écoute avec le projet d'évoquer ensuite ce que je regarde ou écoute.
*2) J'évoque ce que je viens de regarder ou d'écouter avec le projet de revoir ou de redire ce que je viens d'évoquer; je fais cette évocation en jouant la scène d'avenir où j'utiliserai ces connaissances que je suis en train d'évoquer.
*3) Je recommence à jouer cette scène d'avenir jusqu'à ce que les connaissances soient évoquées facilement, exactement et complètement.

p.89 S'il s'agit de la leçon de demain à réciter, l'élève peut fort bien se représenter qu'il est en train de ré-citer sa leçon. Il imagine l'enseignant, ses camarades, la classe... *Ou encore, quelqu'un qui n'a pas sous les mains ses notes pour ajouter une idée pourrait se dire: il faudra que je m'en souvienne quand je compléterai mes notes. Et esquisser dans sa tête "lui, en train de compléter ses notes."

p.91 L'inconscient ne travaillera dans le sens favorable à la mémorisation que si le travail conscient effectué parie pour un avenir de réussite, où les connaissances que l'on veut conserver sont déjà à l'avance considérées comme retrouvées avec certitude.
2 principes
* Apprendre en se mettant dans une situation de projet, c'est-à-dire en plaçant dans un avenir esquissé mentalement, ce qu'on veut conserver.
* Procéder par réitération visuelle ou auditive pour permettre de fixer dans l'avenir ce qu'on veut conserver.

p.92 La pédagogie de la mémoire dans la pratique: 3 cas
Premier cas: Jean-Yves
Présentation * bon en arithmétique et en orthographe
* faible en leçons et en lecture, en commentaires et développements de textes
* déteste apprendre par cœur
* dit qu'il n'a pas de mémoire mais qu'il comprend bien ce qu'on lui explique.

Analyse pédagogique du cas
Jean-Yves est très attentif lorsque son instituteur explique une règle de grammaire ou la marche d'un exercice de calcul, c'est-à-dire qu'il a le projet de les revoir dans sa tête lorsqu'il les perçoit. Il n'écoute pas les explications avec des mots, mais il enregistre l'exemple et pense à la situation où il devra appliquer la règle. Son projet d`acquisition se limite au champ d'application des dictées et des exercices d'arithmétique. S'il doit apprendre une poésie par cœur, il lit la poésie, mais il ne se redit pas dans sa tête les phrases pour les réciter... Il en évoque seulement les scènes qui y correspondent.

p.94 Il a le projet de savoir sa leçon, mais il n'a pas le projet pédagogique de la réciter. Il ne met pas en action les procédures requises.

p.95 Il y a une situation aggravante: quand les leçons ne comportent pas d'événements qui se produisent en scènes visuelles, Jean-Yves n'évoque plus rien. Seules quelques leçons font exception: la géographie, les sciences de l'observation. A défaut de réciter avec des mots dits ou écrits, il reproduit avec précision une carte, un dessin, un croquis.

p.96 Solution pédagogique
Jean-Yves est un élève qui utilise sa mémoire visuelle dans la perspective de l'application à des devoirs; il photographie les mots pour la dictée; il photographie les exemples de sa grammaire pour les appliquer etc.
Nous prendrons ce qui est pour lui le plus dramatique, le texte à apprendre par cœur. Nous le laisserons opérer comme il a l'habitude de faire: lecture du texte et évocation des scènes qui lui correspondent. Ici: le loup, l'agneau, la prairie, le ruisseau, etc. Puis, nous lui demanderons de raconter l'histoire, sans se préoccuper du texte. Il le fera avec les mots les plus simples. Alors nous lui demanderons de confronter le récit qu'il vient de faire avec le texte. Il s'apercevra de ce qui sépare son récit du texte lui-même. Il devra alors photographier dans sa tête, avec le projet de les retrouver, les mots -disons- compliqués du texte.

p.97 Nous lui demanderons de constituer deux parties dans la page d'évocation mentale visuelle: 1) les images de scènes, 2) les images de mots - qui ne sont pas ceux qui lui viennent spontanément à l'esprit.
Nous irons même plus loin en précisant que dans cette page mentale la scène sera à gauche et les mots à droite. (La lecture se fait de gauche à droite)

p.98 Le pédagogue doit prendre l'élève là où il en est et ne lui proposera que des solutions dont on sait qu'elles sont déjà à sa portée.
Écrire ce qu'on veut apprendre est une procédure de simple renforcement, cela ne met pas l'accent sur le geste mental essentiel à effectuer. C'est l'évocation visuelle du mot qui est tout. Mais comme il arrive que l'on écrive quelque chose sans l'évoquer...Si l'élève a recopié, pour recopier, sans se donner l'image mentale visuelle de ce qu'il a recopié, il n'en retiendra rien. Ce n'est pas parce que je l'ai écrit que je m'en souviens: c'est parce qu'en l'écrivant, je l'ai photographié en pensant que je m'en souviendrai. (Il peut être aidant de s'entraîner avec des mots auxquels ne correspond pas directement une chose...des mots courts.)

p.105 Deuxième cas: André
Présentation: * récite bien par coeur: textes, histoire, conjugaisons, tables de multiplication, vocabulaire.
* en orthographe d'usage et d'accord, il est à peine moyen.
* en calcul mental, sur des opérations simples, il se débrouille, si elles sont complexes, il est perdu.
* problèmes d'arithmétique, très faible.

p.106 Analyse pédagogique du cas
Pour apprendre ses leçons, il est sûr qu'il les lit avec le projet de les redire dans sa tête et qu'il s'imagine en train de les réciter en classe.
En math., il sait les règles, tout comme en grammaire; ses difficultés tiennent à la bonne application.

p.107 André a des difficultés à mémoriser visuellement et des facilités à mémoriser auditivement. (Vérifier les incapacités à reproduire de tête un croquis ou une carte de géographie, à dire comment se situent dans l'espace des objets qui ont été vus.) Les difficultés pédagogiques d'André, tant en orthographe qu'en mathématiques, tant en géographie qu'en sciences d'observation, ne sont pas la preuve d'un manque d'intelligence (faculté de compréhension), mais découlent du mésusage de sa mémoire visuelle ou d'une absence d'adaptation de sa mémoire auditive au champ des perceptions visuelles.

p.108 Solution pédagogique
Nous demanderons à André d'utiliser plus pleinement sa mémoire auditive pour l'orthographe d'usage en lui conseillant de pratiquer dans sa tête l'épellation des mots qu'il apprend, de se commenter dans sa tête un croquis simple avec le projet de le reproduire. Nous lui recommanderons de se redonner dans sa tête, avec des mots, les différentes caractéristiques spatiales de ce croquis, avant de le redessiner. La traduction verbale du croquis doit donner tous les détails puisque mentalement, André ne gère pas visuellement. Il doit donc s'en donner l'équivalent par les mots qu'il évoque. Dans un deuxième temps pédagogique, on pourra inviter André à évoquer visuellement, ce qui lui offrira un registre pédagogique plus étendu. Mais c'est dans le prolongement de ses évocations auditives qu'il devra commencer à pratiquer des évocations visuelles et seulement dans ce prolongement. Car, si on imposait à André des évocations visuelles mentales, on le bloquerait complètement.

p.109 Nous croyons que bon nombre d'élèves tombent dans le zéro scolaire intégral pour cette seule cause.
Variante du cas
Joseph est un élève très faible. Orthographe, arithmétique, les leçons en général..., rien ne marche. Ce n'est pas qu'il soit à court d'arguments. Il a toujours quelque chose à dire. Il croit savoir ses leçons, il croit que ses devoirs sont bons. Il a de l'empressement, de l'allant et une certaine imagination. Il lit bien et raconte bien les histoires. Beaucoup penseront qu'un changement d'orientation s'impose et qu'il manque d'aptitude pour l'enseignement général. On ne l'imagine que dans du pratique, la voie technologique semble la seule où il puisse s'orienter.

p.110 Le cas d'André permet de comprendre celui de Joseph, il a des habitudes mentales auditives. La manière dont il échoue est très significative: il croit savoir, il est toujours disposé à parler, il a des mots plein la tête. Ce qui lui manque, c'est l'usage pédagogique de ses évocations auditives. Il pense d'autant moins à le faire que, dans son milieu familial, on est très visuel. Nous le garantissons, Joseph connaîtra une très grande joie quand il se rendra compte que, par l'épellation évoquée dans sa tête, il mémorise l'orthographe des mots. (Id. pour un texte)

p.112 Les lois pédagogiques de la mémorisation
LE PROJET S'il n'y a pas de mémorisation sans projet d'évoquer, d'utiliser l'acquis, il est indispensable que l'enseignant mette les élèves sur orbite d'avenir.
CONCRÈTEMENT L'enseignant peut tenir un discours de ce genre.
"Vous avez une leçon à apprendre. Et bien, vous allez en l'apprenant jouer à la réciter. (Pour un auditif) Toi, tu te re-dis dans ta tête ce que tu apprends. Bien, quand tu te re-dis, pense que tu redis à moi, que tu es en train de réciter ta leçon, que tu es en classe, que c'est déjà demain. Après l'avoir récitée toute une fois, invente même les questions que je pourrais te poser sur la leçon. Vas-y: lis plusieurs lignes... Tu les redis dans ta tête comme si tu les récitais... Tu peux maintenant me les re-dire. Bon. Faisons un pas de plus. Tu vas lire ton texte encore plus loin. Tu vas le re-dire dans ta tête. Puis, tu chercheras à inventer une question que je pourrai te poser pour te faire dire cette partie du texte. Tu as compris?... Bon. Allons-y... Ca y est? Tu as trouvé la question. Eh bien! Formule la question et la réponse. Voilà mes amis, pour ceux qui apprennent comme Philippe, comment il convient que vous vous y preniez pour apprendre votre leçon ce soir.
Oui. Seulement. Il y en a ici qui n'apprennent pas ainsi. Y en a-t-il qui re-voient les mots et les images des scènes dans leur tête pour apprendre? Ils devront aussi avoir le projet de me réciter dans leur tête lorsqu'ils apprendront. Mais, puisqu'ils ne se re-disent pas, c'est en revoyant les mots ou les images des scènes qui correspondent au texte à apprendre qu'ils vont jouer à l'avance la scène de la récitation. Etc.

p.114 *La relativité des temps pour apprendre
Le temps nécessaire pour apprendre une leçon est relatif à la nature de celle-ci. En effet, un élève visuel mettra moins de temps que son camarade auditif pour apprendre une leçon de mathématique, de sciences naturelles, de géographie; mais ce dernier apprendra plus vite que son camarade visuel la poésie, l'histoire, un texte littéraire en général...
*La transmission des informations
Un élève visuel retient très peu d'information orale, si celle-ci n'est pas complétée par des figures, schémas, graphismes divers.
Un élève auditif retient très peu d'une information fournie par des dessins, figures, graphismes, schémas, etc. Il a besoin de commentaires oraux copieux.

p.115 La perte provisoire des acquis antérieurs est due au fait que le projet se polarise sur une tâche bien précise nouvelle et généralement complexe. Lorsque la nouvelle notion devient familière, il faut réinsérer dans leur projet les acquis qui avaient été délaissés.

p.116 L'explication la plus simple de "l'ignorance frappante des débuts d'année scolaire" est que face à de nouveaux projets, à de nouvelles exigences, les élèves sont la proie de la perte provisoire des acquis antérieurs.

p.120 La psychologie différentielle
Notre contribution se situe dans une branche de la psychologie différentielle: celle qui a pour but l'analyse des démarches mentales à pratiquer par l'élève pour capter le message pédagogique, l'assimiler, l'utiliser...

p.121 Nous avons pour notre part, eu tant de confirmations de l'efficacité des conseils donnés à des élèves ou à des étudiants ..., que nous n'avons aucun doute sur la nécessité de faire place à l'école à l'enseignement des démarches mentales.
Il convient donc que les enseignants y soient préparés par une formation fondamentale.
Attention-Réflexion-Mémorisation. Capter le message, l'assimiler pour pouvoir l'appliquer, le conserver pour pouvoir l'utiliser en temps opportun; dans aucun domaine, qu'il soit pratique, technique, artistique, intellectuel, on ne peut faire l'économie des gestes mentaux.

p.123 L'enseignement des gestes mentaux tel que nous l'avons développé dans ce livre est, certes un préalable pédagogique; tant que l'élève n'en a pas acquis la maîtrise, les contenus disciplinaires ne lui sont pas accessibles. Il est donc essentiel que l'enseignant les ait toujours en vue et y revienne sans cesse.

p.125 Le docteur Raymond Lafontaine, spécialiste en neurologie infantile et médecin à l'Hôpital Sainte-Justine à Montréal, est arrivé, après des années d'observation, à cette conclusion que le premier enfant d'une famille choisit d'être visuel ou auditif. Ce choix se fait dans les toutes premières années de la vie et serait motivé par le "profil du parent qui lui paraît être le plus confiant dans l'avenir". La cadet prend le contrepied de son aîné, le troisième choisit à nouveau en raison de l'expérience des deux aînés. Les jumeaux sont de profils pédagogiques opposés.

p.131 Nous estimons que l'enseignant doit s'ouvrir à cette vie mentale, en dégager les lois, les enseigner aux élèves. Il existe des réalités mentales qui ne sont accessibles que par l'observation intérieure.